Que prévoit le « plan auteurs » pour les artistes plasticiens ?

par Gwladys Boissy | 🗓 26 avril 2021 | 🗞 Actualités, 🩺 Social

Faisant suite au rapport de Bruno Racine publié en janvier 2020, L’auteur et l’acte de création, le Plan auteurs 2020-2021 mis en ligne le 12 avril dernier a pour but de remédier à une « dégradation de la situation économique et sociale des artistes-auteurs » et « d’améliorer [leur] quotidien ».

Porté par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot-Narquin, ce plan comporte « 15 nouvelles mesures en faveur des auteurs de tous les secteurs de la création » qui doivent être mises en œuvre entre le premier semestre 2021 et mai 2022.

Si certaines mesures découlent directement des recommandations préconisées par le « rapport Racine » et visent à répondre à des difficultés qui perdurent depuis plusieurs années, d’autres ont pour but de remédier à des problématiques plus récentes comme la perte de revenus engendrée par la crise sanitaire ou la gestion calamiteuse de la sécurité sociale des artistes-auteurs par l’URSSAF Limousin.

La fin des difficultés administratives rencontrées par les artistes-auteurs ?

Ce n’est un secret pour personne : trouver un artiste-auteur qui n’a jamais rencontré de problème d’ordre administratif relève du miracle. Qu’il soit question d’obtenir une réponse claire à une problématique juridique, de procéder à sa déclaration annuelles de revenus ou simplement de se créer un compte sur le site de l’URSSAF Limousin : la moindre tâche administrative qui incombe à l’artiste-auteur relève souvent du parcours du combattant.

L’enrayement du fiasco de l’URSSAF Limousin ?

Dans son rapport, Bruno Racine relevait déjà les « nombreuses difficultés administratives » auxquelles doivent faire face les artistes auteurs, des difficultés liées à la « méconnaissance des dispositifs juridiques applicables par ceux-là mêmes qui ont la charge de les mettre en œuvre » ou résultant de « défaillances informatiques ou de l’absence d’information et d’interlocuteur dédié. ».

Dans sa recommandation n°15, il préconisait de « s’assurer que tous les organismes de sécurité sociale connaissent les règles applicables aux artistes-auteurs et disposent d’une personne ressource identifiée comme référent » et soulignait la nécessité de « mieux former et de mieux identifier les interlocuteurs des artistes-auteurs ».

Près d’un an et demi plus tard, le constat est amer. Le transfert de la gestion de la sécurité sociale des artistes-auteurs à l’URSSAF Limousin est un véritable casse-tête pour les artistes-auteurs. Problèmes d’activation de compte, mauvais calcul de cotisations sociales, impossibilité d’accéder à l’espace personnel, difficulté à obtenir un justificatif de paiement des cotisations ou même invention d’un sixième trimestre 2020 : les « difficultés administratives » se sont transformées en une situation totalement ubuesque dont les artistes-auteurs attendent impatiemment la fin.

Bonne nouvelle : d’après la mesure 3 du « Plan auteurs », le gouvernement entend « s’assurer au plus vite de la bonne mise en œuvre de la réforme du régime social des artistes-auteurs » et de « lever les difficultés liées au transfert de la gestion du recouvrement des cotisations » à l’URSSAF Limousin et « celles qui subsistent dans le cadre des relations entre les auteurs et les différentes CPAM ».

Est-ce enfin la lumière au bout du tunnel ?

Quand un(e) artiste essaie pour la 45e fois de la journée de se connecter à son espace personnel sur le site de l’URSSAF Limousin…
Source : Background photo created by jcomp – www.freepik.com.

La clarification et la facilitation du traitement des revenus des artistes-auteurs

Autre point positif : la mesure 4 du plan prévoit la « rédaction d’une instruction ministérielle destinée à faciliter les déclarations des auteurs et des diffuseurs ». Cette instruction, attendue depuis des mois par les artistes-auteurs et les organisations professionnelles, doit venir apporter des précisions quant à la nature des revenus qu’il est possible de déclarer sous le statut d’artiste-auteur.

Rappelons que, en vertu d’un décret du 28 août 2020, le champ des activités de l’artiste-auteur a été élargi. Depuis le 1er janvier 2021, peuvent notamment être déclarés sous un statut d’artiste-auteur les revenus provenant de « la recherche de financement participatif en contrepartie d’une œuvre de valeur équivalente » ou les revenus issus de « la vente d’exemplaires de son œuvre par l’artiste-auteur qui en assure lui-même la reproduction ou la diffusion ».

Toutefois, cet élargissement des activités reste en grande partie théorique puisque l’imprécision de certains termes est sujet à plusieurs interprétations. Par exemple, pour l’activité précitée, il est difficile de savoir si le terme « exemplaires » renvoie simplement aux reproductions de l’œuvre ou s’il inclut aussi les produits dérivés. L’instruction ministérielle est donc indispensable pour rendre effectif cet élargissement des activités de l’artiste-auteur.

Aussi, la mesure 8 du « Plan auteurs » prévoit de « clarifier et simplifier pour l’avenir les règles fiscales applicables aux différents types de revenus perçus par les auteurs », notamment en matière de démarches déclaratives. Une éventuelle modification des dispositifs de lissage des revenus est notamment à l’étude, conformément à la recommandation n°2 de Bruno Racine qui préconisait de « simplifier et assouplir les dispositifs de lissage pour tenir compte des revenus perçus par les artistes-auteurs (calcul des cotisations et des impositions) et leur permettre d’étaler leurs paiements ».

Bruno Racine proposait notamment de permettre à « l’artiste-auteur qui en fait la demande » de « pouvoir bénéficier d’une prise en compte de sa situation lissée sur cinq années », notamment en ce qui concerne « le paiement des cotisations et des impôts ».

L’étude de la mise en place d’un portail numérique rassemblant les règles juridiques, sociales et fiscales applicables aux artistes-auteurs

Autre point intéressant : selon la mesure 6 du plan, le gouvernement entend « expertiser les modalités de mise en place d’un portail numérique accessible aux auteurs rappelant les règles juridiques, sociales et fiscales » qui leur sont applicables.

Ici encore, il est question de suivre les recommandations de Bruno Racine qui avait suggéré la création d’un « outil regroupant le corps de règles applicables aux auteurs et les informations administratives nécessaires à leurs démarches, qu’il s’agisse par exemple de savoir comment déclarer ses revenus ou un arrêt maladie ».

Au vu de la difficulté pour les artistes-auteurs d’obtenir des informations fiables et concrètes tant sur leur situation juridique que sur leur régime fiscal et social, nous ne pouvons qu’être favorables à la mise en place d’un tel portail.

Une amélioration de la situation financière des artistes plasticiens ?

Le rapport de Bruno Racine était sans équivoque sur ce point : depuis plusieurs années, nous assistons à une « fragilisation de la situation de l’artiste-auteur dans tous les champs de la création » et à une « tendance à la paupérisation des artistes-auteurs qui s’est installée durablement et globalement ».

La situation économique et financière des artistes-auteurs, et plus particulièrement des artistes plasticiens, doit être une priorité de l’État.

Le maintien du fonds de solidarité de l’État pendant la crise sanitaire

Considérant que le soutien financier de l’État aux artistes-auteurs est « devenu prioritaire et essentiel pour garantir la sauvegarde du tissu créatif », le gouvernement prévoit un maintien du fonds de solidarité pour les artistes-auteurs. S’il n’est pas donné plus de précisions quant à la durée de ce soutien économique d’urgence, le gouvernement entend « prendre en compte les effets du décalage dans le temps de la rémunération en droits d’auteur ».

Il n’est pas fait expressément référence à la situation des artistes plasticiens qui subissent depuis un an et demi l’annulation des salons et foires d’art et la fermeture par intermittence des galeries d’art. Nous ne pouvons qu’espérer que le gouvernement ait conscience que là aussi un décalage risque de s’opérer : la réouverture de ces lieux d’exposition et de vente n’entrainera pas automatiquement une amélioration de la situation financière des artistes puisqu’elle ne suffira pas à combler l’importante baisse de revenus à laquelle doivent faire face un bon nombre d’artistes depuis le début de la crise.

Notons aussi que le gouvernement entend également « réabonder » de 22 millions supplémentaires les « fonds sectoriels d’urgence mise en place en 2020 à destination des « populations les plus touchées et qui n’auraient pas eu accès au fonds de solidarité de l’État ».

L’amélioration des dispositifs d’aides gérés par les centres nationaux

Le ministère de la Culture souhaite également « améliorer les dispositifs d’aides en faveur des auteurs au sein des différents centre nationaux ». S’il est précisé que « le renforcement du soutien aux auteurs sera poursuivi en 2022 », aucune mesure concrète n’est annoncée en ce qui concerne les aides accordées par le CNAP, le Centre national des arts plastiques. Le « Plan auteurs » se borne à constater que les aides à la création directes octroyées par ce dernier représentaient en 2020 39% du montant total des aides totales versées au lieu de 34% en 2018.

Cette amélioration des dispositifs d’aides découle directement de la recommandation n°12 du rapport de Bruno Racine qui préconisait d’« accroître par redéploiement la part des aides accordées directement aux artistes-auteurs dans l’ensemble des aides publiques allouées à la culture ». Bruno Racine déplorait qu’ « une très faible part » seulement de ces aides soit « consacrée spécifiquement aux artiste-auteurs » et estimait que « les aides publiques allouées dans le secteur de la culture » devaient « mieux cibler les auteurs. »

Il avait également relevé que « dans les arts plastiques, les artistes-auteurs bénéficient, au titre du soutien à la production artistique, de 16 % environ de l’ensemble des dispositifs d’aide du CNAP, y compris les acquisitions et commandes ».

L’application du droit d’exposition par les musées et les FRAC ?

Dans mon article sur le droit d’exposition, je vous parlais la semaine dernière de la mise en place d’un barème par le ministère de la Culture au titre du droit de présentation publique dans les établissements publics culturels labellisés.

Des évolutions sont a priori à prévoir dans ce domaine puisque le gouvernement entend, dans sa mesure 11 du plan, « faire aboutir les travaux en cours concernant la rémunération du droit d’exposition des artistes par les musées et FRAC ». Là encore, le ministère de la Culture n’apporte pas plus de précisions ni n’annonce de mesures concrètes : il se contente simplement de déclarer qu’il « s’agit d’une mesure d’exemplarité de l’État en matière de respect du droit de la propriété intellectuelle et artistique ».

Ce point avait également été soulevé par Bruno Racine qui avait un avis beaucoup plus tranché sur la question puisqu’il recommandait de « généraliser sans délai le droit de représentation à l’ensemble des expositions temporaires dans les institutions publiques ». Il dénonçait le fait que « la gratuité » soit « considérée par la majorité des parties prenantes comme la règle implicite, intériorisée bon gré mal gré par les artistes eux-mêmes, auxquels les collectivités territoriales et structures publiques font valoir l’intérêt de bénéficier d’une visibilité qui serait décisive pour leur carrière et donnerait un surcroît de valeur à leurs œuvres ».

Par cette recommandation, Bruno Racine entendait mettre un terme à une pratique « contribuant à la précarisation des conditions de vie et de création des artistes-auteurs ».

Vers une plus grande représentativité des artistes-auteurs ?

Largement soulevée dans le rapport de Bruno Racine, la question de la représentativité des artistes-auteurs fait l’objet de plusieurs mesures du « Plan auteurs ». Toutefois, la prise de dispositions en la matière est freinée par le conflit opposant les organismes de gestion collective de droits d’auteurs et les organisations professionnelles des artistes auteurs (associations et syndicats).

La création d’un interlocuteur dédié aux artistes-auteurs au sein du ministère de la Culture

La mesure 2 du plan vise à « renforcer la visibilité des auteurs, notamment en créant dans l’administration centrale un interlocuteur dédié, qui est également celui des autres ministères » et en mettant en place « un observatoire statistique annuel » afin « d’améliorer durablement la connaissance des auteurs, de la diversité de leurs situations et de leurs rémunérations ».

Cette mesure découle directement de deux recommandations du rapport de Bruno Racine :

  • La recommandation n°9 qui préconisait de « créer une délégation aux auteurs au ministère de la Culture en tant que point d’entrée unique, chargée de coordonner la politique des artistes-auteurs du ministère de la Culture et de ses établissements publics » et de « préparer les réformes concernant les artistes-auteurs ».
  • La recommandation n°11 qui préconisait de « créer un observatoire » afin de « mettre en œuvre un suivi statistique et qualitatif affiné et fiable » des artistes-auteurs.

Bruno Racine estimait que l’État devait « faire évoluer son organisation centrale et déconcentrée pour traduire son engagement de placer véritablement l’artiste-auteur « au centre » ». Afin de remédier au « manque de fiabilité des données  recueillies sur des informations de base issues de l’AGESSA et de la MDA », il souhaitait créer un observatoire statistique afin de « sécuriser les données actuellement recueillies » et  d’ « affiner les indicateurs de suivi des artistes-auteurs selon les secteurs, les âges ou encore les genres par exemple ». Il déplorait l’absence d’un « suivi régulier » qui permettrait de déterminer la « pluriactivité artistique », la « répartition du temps entre les différentes activités » ou encore « l’origine sociale ».

Une présence accrue des organisations professionnelles parmi le conseil d’administration de l’URSSAF Limousin

Le ministère de la Culture entend également « recomposer le conseil d’administration » de l’URSSAF Limousin au sein duquel 16 sièges sur 24 seront attribués aux organisations professionnelles des artistes-auteurs. Il envisage de réaliser une « enquête de représentativité » afin d’assurer la désignation de ces représentants de « manière transparente et objective ».

Bruno Racine, dans sa recommandation n°5, prévoyait de « doter les artistes-auteurs d’organisations représentatives » qui prendraient « part à la gouvernance du régime des artistes-auteurs » afin de palier à l’absence de représentants des artistes-auteurs des conseils d’administration de la Maison des Artistes et de l’Agessa depuis 2014.

Il envisageait que ces « organisations représentatives » soient présentes pour « chaque secteur de création artistique », qu’elles soient soumises à des « élections professionnelles » et qu’elles soient « financées par les organismes de gestion collective ».

La représentativité : une question litigieuse

Bruno Racine allait même beaucoup plus loin sur la question de la représentativité puisque sa recommandation n°7 consistait à préconiser la création d’un « Conseil national composé des représentants des artistes-auteurs, des organismes de gestion collective, et des représentants des producteurs, éditeurs et diffuseurs, chargé de formuler des propositions et de conduire les négociations collectives sur tout sujet intéressant la condition des artistes-auteurs ainsi que leurs relations avec les exploitants des œuvres ».

Dans le « Plan auteurs », Roselyne Bachelot-Narquin déclare que « la revendication émanant d’une partie des auteurs de la reconnaissance d’un «statut professionnel» spécifique ainsi que d’un mode d’organisation du travail créatif et de défense de leurs intérêts selon un modèle directement inspiré du salariat a émergé » mais qu’elle « n’est pas partagée par l’ensemble des auteurs et leurs organisations et suscite de nombreuses questions, notamment sur ses modalités. »

Nous savons que les syndicats d’artistes-auteurs et les organismes de gestion collective s’opposent sur cette question. Les premiers reprochent aux seconds de ne pas être réellement légitimes à représenter les artistes-auteurs et d’outrepasser leurs fonctions. Tandis que les premiers réclament depuis de nombreuses années des élections professionnelles, les seconds semblent s’y opposer.

La question de la représentativité est donc loin d’être résolue…

Si le « Plan auteurs » suit en grande partie les recommandations du rapport de Bruno Racine, nous pouvons regretter qu’il soit moins ambitieux que ce dernier. Outre le fait que nous pensons que la question de représentativité aurait pu faire l’objet de mesures plus importantes, nous déplorons que d’autres points soulevés par le rapport Racine soient passés sous silence : la multiplication des « programmes d’échanges internationaux au bénéfice des artistes-auteurs » ainsi que la mise en place de « formations relatives aux aspects juridiques, administratifs et commerciaux » du métier d’artiste dans les établissements d’enseignement artistique auraient mérité, selon nous, une plus grande attention du gouvernement.

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