Faut-il faire une école d’art pour réussir ?

par Gwladys Boissy | 🗓 22 novembre 2021 | 📢 Promotion, 🧮 Marché de l'art

De plus en plus prisées, les écoles d’art publiques sont aujourd’hui très sélectives. Pour optimiser leurs chances de réussite aux concours d’entrée, les apprenti.e.s artistes sont de plus en plus nombreux et nombreuses à intégrer des classes préparatoires leur permettant d’accroître leur culture artistique et de développer leur pratique d’un ou plusieurs arts.

Organisés depuis plusieurs années selon le système européen LMD (licence, master, doctorat), les cursus en écoles d’art représentent pour beaucoup d’artistes en devenir une porte d’entrée sûre et balisée vers le monde de l’art professionnel. Pourtant, si l’école d’art présente de bons taux d’insertion professionnelle pour les futur.e.s designers et graphistes, son rôle dans la carrière des artistes plasticien.ne.s indépendant.e.s n’est pas toujours déterminant.

Alors, faut-il faire une école d’art pour réussir ? L’autodidaxie est-elle vraiment à bannir lorsque l’on souhaite se lancer dans une carrière artistique ? Et puis d’abord, qu’entendons-nous par « réussir » sa carrière artistique ?

Qu’est-ce que la réussite pour un.e artiste plasticien.ne ?

Selon la sociologue Marie Buscatto, « si dès leur plus jeune âge, certain·e·s artistes peuvent se définir comme “modestes” et sont porté·e·s par le seul idéal vocationnel sans désir de re­connaissance ni d’aspiration à vivre de leur art, la plupart des jeunes ren­contré·e·s par les sociologues des arts se maintiennent à ces jeunes âges dans l’espoir de réussir à se faire reconnaître et de devenir suffisamment reconnu·e·s pour pourvoir vivre de leur art à leurs conditions »1 ».

Nous retrouvons ici les trois éléments qui sont le plus souvent associés par les artistes à la notion de réussite : l’accomplissement de leur idéal artistique, la reconnaissance professionnelle et la capacité à vivre de leur art.

L’accomplissement de son idéal artistique

Pour un artiste, l’idéal artistique renvoie le plus souvent à l’idée que l’art est une vocation, une nécessité d’ « exprimer son « être profond » et de répondre à des aspirations toutes personnelles2 ». La création d’œuvres d’art est un moyen pour l’artiste d’exprimer sa « personnalité première, […] son énergie créatrice fondamentale3 ».

Dans cette logique, accomplir son idéal artistique se traduit le plus souvent chez un artiste par le fait de manifester son « authenticité4 » et de refuser « d’adapter sa création à des fins commerciales5 ». Accomplir son idéal artistique, c’est donc créer sans concession, sans aucune contrainte, limite ou influence extérieure ; c’est être un.e artiste entièrement indépendant.e et libre dans le processus créatif. « L’artiste est vu comme celui qui ne fait pas de concessions dans son travail et n’écoute que sa propre sensibilité 6 ».

Les artistes qui nourrissent cet idéal « défendent une “éthique” artistique centrée autour de l’idée de pureté de l’art7 », une « forme d’intransigeance à l’égard de l’idée de “l’art pour l’art”8 » qui les conduit à considérer qu’un.e artiste qui réussit est nécessairement un.e artiste qui n’a pas transigé avec sa vision de l’art et qui n’a pas cédé aux sirènes d’un art plus « commercial », plus facilement « vendable », mais moins « authentique ».

La reconnaissance critique, marchande et institutionnelle

Au même titre que l’accomplissement de leur idéal artistique, la plupart des artistes associe la reconnaissance critique, marchande et institutionnelle à l’idée de réussite.

Nous retrouvons en effet chez un bon nombre d’artistes la volonté d’être « reconnu·e·s pour leur expression artistique par le public, par les pairs, par les intermé­diaires culturel·le·s et par les critiques d’art9 » et le désir de bénéficier de l’ « adhésion […] des acteurs qui organisent le monde professionnel dans lequel ils cherchent ou, du moins, ont cherché à s’intégrer10 ». Être identifié.e.s comme artistes par leurs pairs et les professionnels de l’art permet aux artistes d’« exister sociale­ment en tant qu’artistes11 ».

Le plus souvent, cette reconnaissance n’est pleinement satisfaisante que lorsqu’elle atteint une certaine importance et qu’elle passe d’un niveau local à un niveau national puis enfin international. Beaucoup d’artistes associent donc l’idée de réussite au fait de développer « un niveau de réputation élevé12 ». Selon la sociologue Zoé Haller, « l’accès à la reconnaissance suppose de franchir avec succès un certain nombre d’épreuves imposées par les acteurs de légitimation de l’art contemporain qui jouent un rôle fondamental « dans le processus de qualification de l’œuvre et de l’artiste ». Au regard de ce modèle d’ascension professionnelle, les artistes qui ne fran­chissent pas […] les différents échelons de la notoriété se situeraient du côté de l’échec professionnel13 ».

Pour beaucoup d’artistes, l’idée de réussite implique donc nécessairement une « progression dans l’échelle de la notoriété14 » et le fait de « ne bénéficier que d’une reconnaissance très limitée voire d’aucune forme de reconnaissance, constitue une forme de déviance au re­gard de cette conception ascensionnelle des carrières artistiques, largement partagée par les acteurs de l’art contemporain15 ».

La capacité à vivre de son art

Comme le rappelle Zoé Haller, « les phénomènes de pluriactivité, c’est-à-dire l’exercice de plusieurs mé­tiers dans un même champ d’activité, voire les situations de polyactivité, c’est-à-dire le cumul de plusieurs métiers dans des champs d’activités dis­tincts, sont courants dans les sphères artistiques16 ». Ainsi, il n’est pas rare de rencontrer des artistes plasticien.ne.s qui « combinent ou alternent souvent différentes sources de revenus liées à des emplois à temps partiel, des petits boulots, du travail non déclaré – animation, travail sur des chantiers, réalisation de sites internet – et/ou des aides sociales, s’adonnant souvent à des montages complexes, parfois à la limite de la légalité, voire en dehors de celle-ci17 ».

Dans ce contexte, la réussite pour les artistes est souvent synonyme d’indépendance financière : l’artiste qui réussit perçoit l’essentiel voire l’intégralité de ses revenus de l’exercice de son activité artistique. La conception de l’activité purement artistique varie cependant d’un.e artiste à l’autre, certain.e.s considérant que celle-ci consiste uniquement en la création d’œuvres d’art tandis que d’autres incluent dans cette notion la pratique d’activités complémentaires directement en lien avec la création telles que l’animation d’ateliers créatifs auprès de particuliers ou les cours en école d’art ou au sein de structures associatives.

De façon générale, réussir sa carrière d’artiste renvoie pour les artistes à l’idée selon laquelle l’exercice d’un emploi purement alimentaire ou la perception de revenus complémentaires ou d’aides sociales ne sont plus une condition indispensable au maintien de l’activité artistique.

L’école d’art, un accélérateur de carrière ?

Dans son ouvrage Artistes plasticiens : de l’école au marché, Jérémy Sinigaglia constate « l’effet accélérateur des formations supérieures dans la temporalité des débuts de carrière18 ». Selon l’enquête qu’il a menée auprès des artistes plasticien.ne.s, « les artistes ayant suivi un cursus de formation artistique supérieur exposent en effet pour la première fois six ans plus tôt que les autres, réalisent leur première vente sept ans plus tôt et se déclarent à la MDA neuf ans plus tôt19 ».

Cet effet « accélérateur de carrière » s’explique par le fait que les écoles d’art publiques permettent aux artistes d’acquérir un certain nombre de savoirs et de compétences nécessaires à l’exercice du métier d’artiste et de se constituer un premier réseau professionnel.

Un endroit dédié à la transmission des savoirs

Tout d’abord, l’école d’art publique est un endroit dédié à la transmission des savoirs.

Comme le résume Jérémy Sinigaglia, « la formation en école d’art comprend en premier lieu une dimension didactique : les étudiants sont formés à un ensemble de savoirs, mis en curriculum et insistant plus ou moins, selon les niveaux et les types de formation, sur les dimensions théoriques (histoire de l’art, esthétique) et techniques (propres à tels ou tels domaines et disciplines) de la pratique artistique20 ».

Si les écoles d’art publiques ne sont plus le lieu idéal pour procéder à l’apprentissage des techniques les plus traditionnelles de l’art comme la peinture ou la sculpture, elles présentent l’avantage indéniable de fournir aux artistes plasticien.ne.s un panel de connaissances théoriques leur permettant de se positionner au sein du monde artistique avec plus de facilité que la plupart des autodidactes. Selon Jérémy Sinigaglia, « ceux qui revendiquent le plus de références esthétiques et qui y accordent de l’importance sont ceux qui ont la formation la plus poussée. En particulier dans les mondes de l’art contemporain, cette mise en scène des héritages et des filiations constitue une manière de se situer parmi les courants qui structurent le marché et de se distinguer des autres artistes21 ».

Au sein de cet apprentissage, « l’importance donnée dans les écoles supérieures d’art à la « production d’un discours sur son œuvre », processus par lequel l’élève « apprend peu à peu à devenir un artiste contemporain22 », permet également aux artistes de prendre une longueur sur les artistes autodidactes qui n’ont pas toujours conscience de la nécessité de savoir présenter leur travail à autrui et d’échanger sur leur démarche artistique.

Enfin, l’école d’art publique permet aux artistes de définir leur identité artistique et de mettre en avant leur singularité. « Il est attendu que l’étudiant se prenne en main, choisisse lui-même son parcours en fonction de ses critères personnels. De cette manière, il va affirmer progressivement son identité et par là même, ce qui fera sa valeur sur le marché de l’art : sa signature. Comme le déclarait une étudiante lors d’un entretien : « on est le sujet de nos études »23. »

Un lieu d’apprentissage de la vie d’artiste

Comme le relève Jérémy Sinigaglia, au-delà de son rôle de transmission des savoirs, « l’école constitue également […] un lieu d’apprentissage de la vie d’artiste. Ce qui signifie, pour la plupart, « vivre de son art » et, sauf à être (et en réalité même si on est) « né(e) dedans » […], cela aussi s’apprend et contribue à la constitution du capital spécifique au champ artistique : statuts et droits des artistes, formes d’organisation de l’activité artistique, ressources publiques et privées disponibles et démarches nécessaires pour les obtenir, interlocuteurs institutionnels pertinents, etc.24 ».

Il faut toutefois préciser que cet apprentissage de la vie d’artiste au sein des écoles d’art publiques s’effectue essentiellement de manière indirecte en raison de l’absence ou de l’insuffisance d’enseignements dédiés aux aspects professionnels du métier au sein de ces établissements : « la majorité des anciens élèves interrogés indique que cette professionnalisation, qui renvoie aux dimensions administratives, voire entreprenariales, du métier est très absente des contenus de formation. C’est même le principal reproche adressé par les artistes aux écoles dans lesquelles ils ont étudié. En revanche, la plupart des artistes formés en école supérieure d’art indiquent avoir acquis de manière indirecte une partie au moins de ses savoirs au contact de leurs camarades de promotion et de leurs enseignants, à l’occasion de travaux collectifs ou de stages pendant leur formation, ou de moments de sociabilité plus informels25 ».

Malgré tout, même si cet apprentissage des aspects professionnels du métier d’artiste est incomplet et lacunaire, il permet tout de même aux artistes ayant suivi un cursus dans l’enseignement supérieur d’avoir, encore une fois, une longueur d’avance sur les autodidactes qui se retrouvent souvent démuni.e.s face à ces problématiques. 

En favorisant le travail par projets, l’école d’art publique permet également aux artistes d’acquérir des compétences professionnelles très utiles dans l’exercice du métier d’artiste comme l’autonomie et l’adaptabilité : « En lien avec la mise en avant de l’autonomie, le travail par projets a également pour conséquence de valoriser l’adaptabilité des étudiants, leur capacité à se fondre dans différents univers et différents réseaux. Cette adaptabilité comme l’autonomie des élèves constituent pour des enseignants ou des directeurs d’établissement la plus-value essentielle des formations artistiques26 ».

L’école d’art publique permet également aux apprenti.e.s artistes de commencer à se confronter à la réalité du métier et de casser l’image idéalisée que certains artistes se font de cette profession. En effet, comme le souligne le sociologue Jérémie Vandenbunder, « au fur et à mesure, ces étudiants s’approprient une autre vision du groupe professionnel. Ceci passe tout d’abord par la découverte des tâches à accomplir, entrant parfois en contradiction avec une certaine image du travail artistique […]. En assimilant la réalité des tâches et des compétences des professionnels, l’étudiant abandonne peu à peu les stéréotypes profanes pour s’identifier au rôle du professionnel27 ».

Une instance de socialisation professionnelle

Enfin et surtout, les écoles d’art publiques permettent aux artistes de se constituer ou de renforcer leur capital social dans le monde artistique. Comme le souligne la sociologue Chloé Cardinal, « il faut également envisager l’école artistique comme une instance de socialisation au sein de laquelle l’artiste apprend les normes et le fonctionnement du monde de l’art et où il se constitue également un capital social lui ouvrant une porte vers ce monde. Le passage par l’école est le point de départ des réseaux d’interconnaissances28 ».

Jérémy Sinigaglia partage ce même constat et insiste sur le fait que la constitution de ce capital social est une « dimension essentielle de la professionnalisation aux métiers artistiques ». Selon lui, au sein des écoles d’art, « des relations privilégiées se nouent avec des enseignants, des groupes ou collectifs se forment entre étudiants, des rencontres se produisent avec des professionnels du secteur (responsables institutionnels, galeristes…) à l’occasion de travaux encadrés au sein de l’école, etc. La constitution d’un carnet d’adresses, d’un réseau de contacts mobilisables apparaît ainsi comme un élément déterminant pour la suite de la carrière, qui va contribuer à distinguer les trajectoires des élèves diplômés des écoles supérieures et les autres29 ».

Jérémy Sinigaglia précise également que « le manque le plus fréquemment cité par [les] artistes autodidactes se situe moins au niveau des techniques, qu’en termes de socialisation professionnelle. Ils et elles sont plus souvent dans une forme de relatif isolement professionnel, sont moins intégré.e.s dans les collectifs, connaissent moins de monde au-delà de leur cercle de proches et, surtout, on impression de ne « pas avoir les codes » propres au milieu artistique. De la même manière, les autodidactes semble éprouver de plus grandes difficultés, notamment du fait de leur plus grand isolement, avec les aspects administratifs du métier qui, comme on l’a rappelé, supposent des savoirs et des connaissances qui se transmettent en partie dans et autour de l’école30 ».

L’autodidaxie, une alternative prometteuse ?

Au vu des éléments que nous venons d’évoquer, nous constatons que les artistes diplômé.e.s des écoles d’art publiques ont une longueur d’avance sur les autodidactes en matière de professionnalisation et de socialisation. Cependant, faut-il en conclure que l’école d’art est un passage obligatoire dans la carrière d’un.e artiste ? Pouvons-nous en déduire qu’un.e artiste autodidacte est nécessairement condamné.e à ne pas réussir dans le monde de l’art et à se faire constamment voler la vedette par des artistes issu.e.s des écoles d’art  ?

Au regard de l’engouement que certain.e.s artistes autodidactes suscitent chez les professionnels de l’art ainsi que de la fascination persistante pour le mythe du génie créateur, il n’est pas certain qu’il faille être aussi catégorique sur la question.

Le succès grandissant des autodidactes

Depuis les années 1990, le monde de l’art s’intéresse de plus en plus aux artistes autodidactes comme en témoigne l’intérêt grandissant des professionnels de l’art pour des formes ou mouvements artistiques nés dans la marginalité comme l’art brut ou le street-art.

Selon Artprice, « c’est presque un cas d’école : quand un mouvement, né en marge de tous réseaux, commence à avoir une petite visibilité avec des expositions souvent autofinancées et réunit une petite communauté d’artistes, d’amateurs et de collectionneurs, un certain nombre d’étapes est déjà franchi. Puis des galeries s’engagent et la reconnaissance publique advient : une foire d’art spécialisée, des vacations réservées par les maisons de ventes au plus haut niveau, et des valeurs nominales désormais sûres. L’art Outsider, ou art Brut […] en est à ce stade final31 ».

La raison de ce succès ? Selon Artprice, « les œuvres d’Outsider art sont sincères et intimes, parfois empruntes de spiritualité, mêlant souvent médias traditionnels et objets de récupération. Leur pouvoir d’attraction provient de leur liberté plastique comme de l’histoire de leurs créateurs car, au-delà des œuvres, c’est bien souvent le parcours des artistes qui séduit et touche collectionneurs et galeristes32 ».

Une liberté de création et des parcours séduisants que l’on retrouve également chez d’autres mouvements qui connaissent aussi un succès grandissant comme le Street-art : « L’Art Brut partage avec le Street Art ce grand paradoxe : jamais il n’aurait dû se retrouver sur les cimaises d’un musée, encore moins sur l’estrade d’une salle de ventes. Les sociétés d’enchères ont pourtant misé sur ces créations singulières, organisant des sessions spécialisées qui rencontrent de plus en plus de succès. Collectionner des artistes autodidactes est devenu, pour certains, la porte d’entrée d’une collection avec des œuvres accessibles pour quelques centaines de dollars. Pour d’autres, c’est un exercice de haute voltige, car les cotes de certains flirtent désormais avec celles des artistes contemporains les plus en vue33 ».

La persistance du mythe du génie créateur

Ce succès critique, marchand et institutionnel des autodidactes s’explique en grande partie par la persistance du mythe du génie créateur qui consacre le concept de l’innéité du don de l’artiste. Selon Chloé Cardinal, « le mythe de l’autodidaxie est très présent chez les artistes plasticiens. L’autodidaxie est une forme de valorisation du caractère personnel et original du travail artistique qui laisse penser que l’artiste n’a subi aucune influence. Or les principes d’unicité et d’originalité sont des valeurs primordiales dans le marché de l’art. Ce sont cette originalité et cette différenciation esthétique qui constituent la clé de la reconnaissance de l’artiste. C’est pourquoi l’autodidaxie est autant valorisée dans le monde de l’art34 ».

Jérémie Vandenbunder abonde dans le même sens que Chloé Cardinal. Selon lui, « les notions de don ou de talent inné sont partie intégrante de l’image de l’artiste. D’ailleurs, ces stéréotypes sont présents dans de nombreux domaines artistiques, au-delà des seuls arts plastiques. Que l’on parle de l’oreille musicale ou du coup de crayon, on retrouve souvent l’idée d’une disposition innée qu’un apprentissage, même long, ne pourrait jamais fournir […]. Il semblerait que le don soit constitutif de l’artiste, ce qui reviendrait à dire en effet que l’on naît artiste, que cela ne s’apprend pas […]. L’école apparaît alors comme un lieu de formatage et d’apprentissage des conventions, allant parfois à l’encontre du talent naturel de l’individu35 ».  

D’après Jérémy Sinigaglia, l’autodidaxie est même perçue comme un atout  indéniable par certain.e.s artistes qui en sont issu.e.s : « certain.e.s de celles et ceux qui se revendiquent, au cours des entretiens, d’une forme d’ « autodidaxie » ou d’ « auto-formation », présentent cela comme une force : moins de formation, notamment en école, serait synonyme d’une plus grande liberté artistique, d’une créativité moins enfermée dans les carcans académiques36 ».

Ce mythe de l’innéité du don de l’artiste est tellement persistant que certain.e.s artistes issu.e.s des écoles d’art vont jusqu’à dissimuler leur cursus au sein de ces établissements afin de valoriser leur parcours artistique. Ils/elles seraient en effet 41% des artistes ayant fréquenté les écoles supérieures d’art à se déclarer autodidactes37 dans le but de « se conformer au mythe du talent inné de l’autodidacte38 ».

L’inadaptation des écoles d’art à certains profils artistiques

Enfin, l’autodidaxie peut se révéler plus adaptée à certains profils artistiques que l’école d’art publique. Comme pour tous les aspects professionnels du métier d’artiste, la pertinence de la formation initiale d’un.e artiste dépend de son identité artistique, de l’art qu’il/elle produit, de ses ambitions en tant qu’artiste ainsi que du marché au sein duquel il/elle est destiné.e à évoluer. Il n’existe donc pas de formation idéale destinée à l’ensemble des artistes plasticien.ne.s mais une multitude de formations au sein desquelles l’artiste doit trouver celle qui lui correspond le mieux.

Je laisse le mot de la fin aux économistes Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux qui résument très bien cette idée :

« Dans le monde de l’art classique […], la reconnaissance passe prioritairement par le marché. La qualité est intrinsèque à l’œuvre et le collectionneur est en mesure, par lui-même, en fonction de la qualité technique de la réalisation et du sujet, de porter son propre jugement. La formation a pour rôle l’apprentissage des techniques. Elle se fait chez un maître ou dans une école spécialisée39. »

« Dans le monde de l‘art contemporain, le passage par une école des beaux-arts est quasiment incontournable40» car « l’artiste tire sa notoriété de la reconnaissance par des instances de légitimation de l’originalité de sa démarche41 » et « il doit apprendre à construire un discours sur son œuvre et à convaincre quelques intermédiaires […] de la pertinence de son travail pour qu’à leur tour, ils développent un discours critique apte à faire accepter l’artiste dans les réseaux internationaux42 ».

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Notes

  1. Marie Buscatto, « Présentation », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  2. Marie Buscatto, « Présentation », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  3. Marie Buscatto, « Présentation », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  4. Zoé Haller, « Rester plasticien quand la notoriété ne fait plus partie du champ des possibles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  5. Zoé Haller, « Rester plasticien quand la notoriété ne fait plus partie du champ des possibles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  6. Jérémie Vandenbunder, « Une école de la maturation ? », Temporalités [En ligne], 14 | 2011, mis en ligne le 15 novembre 2011, consulté le 21 novembre 2021.
  7. Zoé Haller, « Rester plasticien quand la notoriété ne fait plus partie du champ des possibles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  8. Zoé Haller, « Rester plasticien quand la notoriété ne fait plus partie du champ des possibles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  9. Marie Buscatto, « Présentation », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  10. Zoé Haller, « Rester plasticien quand la notoriété ne fait plus partie du champ des possibles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  11. Zoé Haller, « Rester plasticien quand la notoriété ne fait plus partie du champ des possibles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  12. Marie Buscatto, « Présentation », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  13. Zoé Haller, « Rester plasticien quand la notoriété ne fait plus partie du champ des possibles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  14. Zoé Haller, « Rester plasticien quand la notoriété ne fait plus partie du champ des possibles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  15. Zoé Haller, « Rester plasticien quand la notoriété ne fait plus partie du champ des possibles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  16. Zoé Haller, « Rester plasticien quand la notoriété ne fait plus partie du champ des possibles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  17. Zoé Haller, « Rester plasticien quand la notoriété ne fait plus partie du champ des possibles », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 50-2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 21 novembre 2021.
  18. Jérémy Sinigaglia, Frédérique Patureau, Artistes plasticiens : de l’école au marché, septembre 2020, coéd. ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, Paris, p.88.
  19. Jérémy Sinigaglia, Frédérique Patureau, Artistes plasticiens : de l’école au marché, septembre 2020, coéd. ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, Paris, p.88-89.
  20. Jérémy Sinigaglia, Frédérique Patureau, Artistes plasticiens : de l’école au marché, septembre 2020, coéd. ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, Paris, p.73.
  21. Jérémy Sinigaglia, Frédérique Patureau, Artistes plasticiens : de l’école au marché, septembre 2020, coéd. ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, Paris, p.74.
  22. Jérémy Sinigaglia, Frédérique Patureau, Artistes plasticiens : de l’école au marché, septembre 2020, coéd. ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, Paris, p.75.
  23. Jérémie Vandenbunder, « Une école de la maturation ?  », Temporalités [En ligne], 14 | 2011, mis en ligne le 15 novembre 2011, consulté le 21 novembre 2021.
  24. Jérémy Sinigaglia, Frédérique Patureau, Artistes plasticiens : de l’école au marché, septembre 2020, coéd. ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, Paris, p.75.
  25. Jérémy Sinigaglia, Frédérique Patureau, Artistes plasticiens : de l’école au marché, septembre 2020, coéd. ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, Paris, p.75-76.
  26. Jérémie Vandenbunder, « Une école de la maturation ? », Temporalités [En ligne], 14 | 2011, mis en ligne le 15 novembre 2011, consulté le 21 novembre 2021.
  27. Jérémie Vandenbunder, « Une école de la maturation ?  », Temporalités [En ligne], 14 | 2011, mis en ligne le 15 novembre 2011, consulté le 21 novembre 2021.
  28. Chloé Cardinal, « L’artiste plasticien professionnel : aléas d’une profession atypique », Revue de l’Institut de Sociologie [En ligne], 83 | 2013, mis en ligne le 05 novembre 2018, consulté le 21 novembre 2021.
  29. Jérémy Sinigaglia, Frédérique Patureau, Artistes plasticiens : de l’école au marché, septembre 2020, coéd. ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, Paris, p.76-77.
  30. Jérémy Sinigaglia, Frédérique Patureau, Artistes plasticiens : de l’école au marché, septembre 2020, coéd. ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, Paris, p.81-82.
  31. Artprice, « Inside Outsider Art », www.artprice.com [En ligne], 83 | 2013, mis en ligne le 17 janvier 2020, consulté le 21 novembre 2021.
  32. Artprice, « Inside Outsider Art », www.artprice.com [En ligne], 83 | 2013, mis en ligne le 17 janvier 2020, consulté le 21 novembre 2021.
  33. Artprice, « Inside Outsider Art », www.artprice.com [En ligne], 83 | 2013, mis en ligne le 17 janvier 2020, consulté le 21 novembre 2021.
  34. Chloé Cardinal, « L’artiste plasticien professionnel : aléas d’une profession atypique », Revue de l’Institut de Sociologie [En ligne], 83 | 2013, mis en ligne le 05 novembre 2018, consulté le 21 novembre 2021.
  35. Jérémie Vandenbunder, « Une école de la maturation ?  », Temporalités [En ligne], 14 | 2011, mis en ligne le 15 novembre 2011, consulté le 21 novembre 2021.
  36. Jérémy Sinigaglia, Frédérique Patureau, Artistes plasticiens : de l’école au marché », septembre 2020, coéd. ministère de la Culture/Presses de Sciences Po, Paris, p.80.
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  38. Chloé Cardinal, « L’artiste plasticien professionnel : aléas d’une profession atypique », Revue de l’Institut de Sociologie [En ligne], 83 | 2013, mis en ligne le 05 novembre 2018, consulté le 21 novembre 2021.
  39. Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux, « La relation formation/carrières artistiques : le paradoxe des mondes de l’art », Formation emploi [En ligne], 116 | octobre-décembre 2011, mis en ligne le 24 janvier 2012, consulté le 21 novembre 2021.
  40. Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux, « La relation formation/carrières artistiques : le paradoxe des mondes de l’art », Formation emploi [En ligne], 116 | octobre-décembre 2011, mis en ligne le 24 janvier 2012, consulté le 21 novembre 2021.
  41. Nathalie Moureau et Dominique Sagot-Duvauroux, « La relation formation/carrières artistiques : le paradoxe des mondes de l’art », Formation emploi [En ligne], 116 | octobre-décembre 2011, mis en ligne le 24 janvier 2012, consulté le 21 novembre 2021.
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