Qu’on le nomme droit de monstration ou droit de présentation publique, le droit d’exposition est au cœur des revendications des artistes, des sociétés de gestion collective et des syndicats professionnels depuis plus de 40 ans.
Alors qu’exposer ses œuvres fait partie intégrante de la profession d’artiste plasticien, ce dernier n’est que rarement rémunéré pour la présentation de son travail lors d’une exposition temporaire ou d’un évènement culturel ponctuel.
Pourtant, s’il n’a été consacré que tardivement, le droit d’exposition est bel et bien une prérogative pécuniaire dont l’artiste dispose en vertu du droit d’auteur…
La tardive consécration d’un droit d’exposition au bénéfice de l’artiste
Tourmentée, l’histoire du droit d’exposition est marquée par une succession de revirements et de rendez-vous manqués…
Un droit d’exposition longtemps réservé au propriétaire matériel de l’œuvre
Au XIXe siècle, le droit d’exposition est perçu comme une des prérogatives du droit de propriété. De ce fait, c’est le propriétaire de l’œuvre qui peut seul décider de l’exposition ou non de celle-ci et des conditions dans lesquelles cette exposition peut avoir lieu.
Comme l’explique si bien Philippe Mouron dans sa thèse Le droit d’exposition des œuvres graphiques et plastiques soutenue en 2011, cette époque ne connait que la propriété corporelle de l’œuvre et il n’est alors pas question de droit d’auteur. L’artiste dispose bien d’un droit d’exposition sur son œuvre mais seulement en tant que premier propriétaire de celle-ci. Lorsqu’il vend son œuvre, on considère qu’il cède également le droit d’exposition s’y rattachant.
Ainsi, l’acte d’achat permet à l’acquéreur de jouir et de disposer de la manière la plus absolue de l’œuvre. Face à cette propriété pleine et entière, l’artiste, auteur original de l’œuvre, n’a plus son mot à dire.
La consécration du droit d’exposition comme droit patrimonial de l’artiste
Il faut attendre la loi du 9 avril 1910 relative à la protection du droit d’auteur en matière de reproduction des œuvres d’art pour que soit consacré le principe de distinction entre le droit de propriété corporelle et le droit de propriété incorporelle de l’œuvre. Il est alors reconnu que l’acquéreur d’une œuvre possède la propriété incorporelle de celle-ci, qui se caractérise par un droit de propriété classique, tandis que l’auteur de l’œuvre est titulaire d’un droit de propriété incorporelle sur cette même œuvre que l’on qualifiera plus tard de « droit d’auteur ».
Jalon du droit d’auteur à la française, la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique vient entériner ce principe tout en consacrant celui selon lequel le droit d’auteur se compose d’un droit moral et de droits patrimoniaux. Elle vient aussi préciser que les droits patrimoniaux sont constitués d’un « droit de reproduction » et d’un « droit de représentation ». Si la reproduction est définie comme la « communication indirecte de l’œuvre », la représentation, quant à elle, consiste en la « communication directe de l’œuvre ». À titre d’exemples de représentation, la loi cite notamment la « récitation publique », l’ « exécution lyrique » ou la « présentation publique ».
Alors que certains juristes de l’époque considèrent que l’expression « présentation publique » fait explicitement référence à l’exposition publique des œuvres et que la loi, en consacrant la droit de représentation, consacre aussi le droit d’exposition, la grande majorité de la doctrine rejette cette idée.
Il faut attendre le milieu des années 1980 pour que les spécialistes du droit d’auteur adhérent finalement à cette théorie puis les années 2000 pour que le droit d’exposition soit explicitement consacré par la jurisprudence.
Du droit d’exposition au droit de monstration
Comme le démontre Philippe Mouron, durant cette longue période de latence, c’est l’aspect pécuniaire du droit d’exposition qui intéresse surtout les artistes.
En 1978, le rapport de Jean Cohen-Salvador Pour une nouvelle condition de l’artiste plaide pour la mise en place d’un « droit de monstration » qui consisterait à rémunérer les artistes pour l’exposition temporaire de leurs œuvres lorsque celle-ci ne poursuit qu’un but artistique et culturel.
La revendication se comprend aisément : les expositions dans les lieux culturels sont, sur le plan économique et financier, beaucoup moins intéressantes pour l’artiste que celles à visée marchande organisées par un salon ou une galerie.
Dans le cas d’une exposition marchande, les intérêts du galeriste et de l’artiste sont liés puisque tous deux ne retirent une rémunération de l’exposition que si des œuvres sont vendues. Si l’artiste ne retire pas d’argent de l’exposition, le galeriste non plus. Tous deux sont soit gagnants, soit perdants.
Dans le cas d’une exposition dont le seul but est culturel et artistique, la dynamique est différente. L’artiste ne perçoit pas de rémunération pour la création des œuvres exposées et ne perçoit aucun pourcentage sur les entrées lorsque l’exposition est payante. Que l’exposition ait du succès ou non, l’organisateur percevra seul l’intégralité des recettes tandis que l’artiste ne touchera pas un centime. Dans les deux cas, l’artiste sera donc perdant. Il pourra seulement espérer gagner en visibilité ou accroitre sa côte : or, la visibilité ne permet pas de payer son loyer ou de remplir son frigo et l’artiste peut ne pas retirer de bénéfice financier de l’accroissement de sa côte avant plusieurs années.
Face à ces retombées peu satisfaisantes et très incertaines, il est tout à fait compréhensible que l’artiste revendique une rémunération au titre de son droit d’exposition.
La rémunération des artistes, principal enjeu du droit d’exposition
Les droits patrimoniaux que sont le droit de reproduction et le droit de représentation sont également qualifiés de droits d’exploitation. S’ils permettent à l’artiste de contrôler l’exploitation de son œuvre même après sa vente, ils sont également un moyen pour l’artiste de retirer une rémunération de cette exploitation. Il est donc tout à fait logique que la rémunération des artistes soit progressivement devenu le principal enjeu de la reconnaissance d’un droit d’exposition.
Les réticences de l’État et des institutions publiques
Comme le souligne très justement Philippe Mouron dans sa thèse, la dimension financière du droit d’exposition est sans doute l’un des principaux obstacles à sa reconnaissance.
C’est effectivement la crainte des répercussions financières de la consécration d’un tel droit sur les institutions chargée des politiques culturelles qui en a constitué les principales entraves. En 1985, Jack Lang, alors ministre de la Culture, porte devant l’Assemblée Nationale et le Sénat le projet de loi relative aux droits d’auteur et aux droits voisins.
Alors que le débat se cristallise autour de la reconnaissance ou non du droit d’exposition, Jack Lang confie son inquiétude quand aux conséquences néfastes que cette consécration aurait sur les finances de l’État et des collectivités territoriales. Conscient de l’effort financier demandé, il choisit de ne pas substituer dans le texte relatif au droit de représentation l’expression d’ « exposition publique » à celle de « présentation publique » et renonce ainsi à reconnaître explicitement le droit d’exposition.
La question de l’existence d’un droit d’exposition reste alors ambigüe jusqu’aux consécrations jurisprudentielles de 2000 et 2002. Même juridiquement reconnu, il ne fait l’objet d’aucune mise en pratique dans les années qui suivent la décisions de la Cour de Cassation. Ce n’est qu’en 2019 que le ministère de la Culture prend pour la première fois une mesure concrète en publiant un barème minimum de rémunération au titre du droit d’exposition.
La mise en place d’un barème officiel de rémunération au titre du droit d’exposition
Sous la pression des sociétés de gestion collective des droits d’auteur telles que l’ADAGP ou la SAIF ou encore des organisations professionnelles représentant les artistes, le ministère de la Culture a publié le 18 décembre 2019 un barème minimum de rémunération du droit de « présentation publique » s’appliquant aux expositions temporaires.
Bien que l’initiative soit appréciable, nous ne pouvons que regretter l’absence d’un caractère contraignant d’un tel barème. Le ministère de la Culture a en effet fait le choix de privilégier l’incitation et la responsabilisation à la coercition. Seules les structures labellisées (« Musées de France », « Centre d’art contemporain d’intérêt national »…) et/ou bénéficiant de subventions du ministère de la Culture ont l’obligation de respecter ce barème.
De même, les montants proposés semblent bien dérisoires au vu de l’investissement et du coût que la préparation d’une telle exposition engendre pour un artiste : une rémunération minimum de 1000€ pour un artiste participant à un exposition monographique, quelque que soit la durée ou le nombre d’œuvres ; seulement 100€ pour un artiste dont au moins une œuvre est présentée dans le cadre d’une exposition collective…
La non prise en compte du nombre d’œuvres exposées par l’artiste ou de la durée de l’exposition nous paraît aussi bien surprenante : réaliser 10 œuvres ne demande-t-il pas plus de travail à l’artiste que de n’en produire que 2 ? Le coût du matériel utilisé par l’artiste n’augmente-t-il pas en fonction du nombre d’œuvres produites ? Apparemment, pas pour le ministère de la Culture…

Barème minimum de rémunération du droit de présentation publique.
Source : site du ministère de la Culture.
Vers une rémunération généralisée des artistes lors des expositions ?
Face à la mise en place de ce barème, nous sommes en droit de nous interroger : est-ce qu’il s’agit d’une initiative destinée à apaiser les tensions avec les sociétés de gestion collective et les syndicats d’artistes ou sommes-nous en présence d’une réelle volonté du ministère de la Culture de faire appliquer le droit d’exposition ?
Les artistes peuvent-ils interpréter la mise en place de ce barème comme une première étape importante dans l’application effective de leur droit ? Peuvent-ils y voir le geste annonciateur d’un bouleversement de l’ordre établi ? Leurs revendications ont-elles enfin été entendues ?
Ce barème a été publié en décembre 2019, soit quelques mois seulement avant la crise sanitaire. La fermeture des lieux culturels pendants plusieurs et l’absence de perception de recettes en résultant n’était alors pas du tout envisagée. Nous espérons que cette avancée pour le droit d’exposition ne sera pas balayée par la situation économique préoccupante que traverse et va traverser le milieu artistique et culturel.
D’autant plus que la nécessité de percevoir une rémunération pour exposer sera encore plus grande pour les artistes à l’ère post-Covid qu’elle ne l’était en décembre 2019…
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